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LE NOUVEAU TOP ALBUM FRANÇAIS : COMMENT ADDITIONNER DES CAROTTES ET DES NAVETS ?

Dernière mise à jour : 6 sept. 2018



Le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique) vient de présenter son nouveau Top hebdomadaire des ventes, qui prend en compte désormais les écoutes en streaming; l’objectif est naturellement de tenir compte de la place de plus en plus importante de ce mode de consommation, qui a supplanté en quelques années le téléchargement sur le segment de la musique en ligne

Dans un marché français qui reste encore dominé par les ventes de supports physiques, le SNEP offre un lifting à son top album, sans bouleverser sa logique interne et dans le but d’assurer une continuité dans l’évolution du marché. Le SNEP confirme d’ailleurs que sa méthode d’agrégation des ventes et des écoutes évoluera à nouveau dès que le marché basculera majoritairement vers le streaming. Mais rien n’est simple quand il s’agit d’agréger des modes de consommation aussi disparates…


Les carottes et les navets

Le SNEP, comme les autres organisations de producteurs de par le monde, a donc travaillé sur une méthodologie d’équivalence entre ventes et écoutes. Le moins que l’on puisse dire est que cette méthodologie ne brille pas par sa simplicité…; qu’on en juge : Pour obtenir « l’équivalent album » recherché, on additionne tous les streams des titres de l’album considéré, à l’exception du titre le plus streamé dont le nombre d’écoutes est divisé par 2, puis on divise le nombre total de streams « corrigé » par 1000. Mais par ailleurs, si le SNEP prend en compte le streaming payant – abonnements premium payant et freemium rémunéré par la publicité -, il n’a pas pris en compte les diffusion sur Youtube, au motif de la faiblesse des revenus qu’elles génèrent.

Les observateurs ont immédiatement relevé que la méthode d’équivalence du SNEP se distinguait de celles mises en œuvre dans les autres pays, dont chacun par ailleurs applique sa propre méthode…  Comme le relève Muzhit dans son article sur la question, « En tant que telle, cette formule se rapproche le plus de la méthode britannique, mais marque quelques différences : le nombre de titres dont on ajoute les streams est différent, les deux titres les plus streamés voient leurs chiffres corrigés outre-Manche, et cette correction n’est pas de moitié mais de l’écart par rapport à la moyenne des streams par titre ». Et de préciser enfin qu’aux Etats Unis, on ne divise pas par 1000 mais par 1500… On ajoute que les diffusions Youtube sont prises en compte aux USA, et qu’à l’opposé, l’Allemagne ne comptabilise que le  streaming premium…

Certes, pour relativiser cette cacophonie, le SNEP a réalisé des simulations et a constaté que l’écart avec le modèle britannique n’est que de 5 à 10%; la disparité des méthodes de comptabilisation ne créerait donc pas de forte distorsion en moyenne, mais dans la mesure où l’écart entre deux albums peut se jouer sur quelques centaines de ventes, on peut douter de l’efficience du classement… On notera enfin que l’IFPI , conscient des carences des différents modèles de comptabilisation, travaille activement à une harmonisation des systèmes au plan international.

On constate donc que la question « combien faut-il de streams pour faire un album ? », au vu de la disparité des réponses apportées, est nettement plus complexe qu’on pourrait l’imaginer. Elle en appelle une autre, bien plus fondamentale : est-il seulement possible d’imaginer une méthode d’équivalence pertinente, universelle et efficace – en ce qu’elle atteindrait l’objectif d’un classement des albums les plus populaires (à défaut de parler d’albums les plus écoutés ou les plus vendus) ? Il est permis d’en douter.


Changement de paradigme

Aussi, ne serait-il pas plus simple d’adopter une position radicale, d’effectuer dès à présent un renversement complet de perspective et de raisonnement sans attendre le basculement naturel du marché, afin de rompre au plus vite avec un schéma mental scotché sur l’idée de « marché du disque »?

Dans cette perspective, il est nécessaire avant toute chose de repenser le support physique et l’acte d’achat du consommateur dans un univers modelé par l’écoute.

Il faut tout d’abord rappeler comment le changement de comportement du consommateur, induit un changement de stratégie des artistes : Le streaming, du fait que les artistes sont rémunérés en proportion du nombre d’écoutes que génère leur catalogue, définit une nouvelle économie de l’attention et de l’engagement dans laquelle le but ultime est de convertir le maximum de consommateurs en fans, c’est-à-dire  des consommateurs dont la fidélité s’inscrit dans la durée, et non pas dans un acte d’achat instinctif et bref.

En d’autres termes, dans cette économie, ce n’est pas uniquement la capacité de l’artiste à générer un grand nombre d’écoutes la semaine de la sortie de son nouvel opus qui importe – même si c’est bien sûr un objectif majeur -, mais aussi, et essentiellement, sa capacité à maintenir un taux d’écoute élevé semaine après semaine. La mesure de l’engagement est dans cette pérennité de la relation.

Cet objectif conduit à repenser les stratégies marketing et commerciales classiques qui consistaient à convaincre un maximum de consommateurs de réaliser un achat d’impulsion, à coup de messages publicitaires concentrés autour de la sortie, de mise en avant dans les bacs ou sur iTunes, de PLV et de précommandes, dans une économie où un album chasse l’autre au rythme hebdomadaire des mises en place… Il faut maintenir le lien avec le fan tout au long de la vie de l’album par des événements qui captent son attention : la panoplie des actions promo habituelles (tournées incluses) se complète par une présence médiatique quasi constante des artistes via les réseaux sociaux.



Le disque: un préachat d’écoutes infini – ou presque

Dans cette nouvelle économie, qu’est-ce que le disque – ou son avatar numérique, le fichier en téléchargement ? Si on raisonne en écoutes, on peut dire que le consommateur qui acquiert un album en format CD ou en téléchargement « préachète » un certain nombre d’écoutes des titres reproduits sur l’album pour une somme forfaitaire . Il aura théoriquement toute sa vie pour écouter et réécouter ces titres – et le cas échéant, ses héritiers pourront en profiter à leur tour… Mais en général, au bout d’un certain nombre d’écoutes, l’auditeur se lassera et passera à d’autres albums, en sorte qu’on peut prendre pour hypothèse que le nombre d’écoutes sera fini…

Un album n’est rien d’autre dans cette perspective qu’un package d’écoutes prépayées (peu importe à cet égard le nombre de titres figurant sur l’album: qu’il en écoute 1 seul ou tous ne change rien au deal…).

Pour définir une règle d’équivalence avec le streaming, il est nécessaire d’estimer le nombre moyen d’écoutes ainsi acquis par le consommateur. Dans l’économie du streaming, c’est le prix moyen de l’écoute qui est la référence; il suffirait en première approche de prendre pour base le prix moyen du disque et le prix moyen du stream pour calculer le nombre d’écoutes prépayées dans le cadre de l’achat d’un disque en divisant le premier par le second; A titre d’illustration, si l’on considère un prix du stream de 0.010 euros TTC en moyenne, payé par le consommateur, et un prix de l’album de  15 € TTC, on peut considérer qu’un album serait équivalent à 1.500 streams.

On peut sophistiquer le raisonnement, pour tenir compte de la concentration des ventes de supports sur les premières semaines d’exploitation d’une nouveauté, et redresser ce biais dans l’optique du streaming où les écoutes sont nécessairement diluées dans le temps: on pourrait « lisser » les ventes d’albums sur une certaine durée, de façon dégressive. Le classement en résultant serait alors représentatif du nombre d’écoutes générées par un album donné au cours du temps par rapport aux autres. Accessoirement, la question de la prise en compte des streams gratuits (Youtube et autres plateformes) ne se pose plus: ces écoutes participent naturellement au processus d’engagement du consommateur décrit plus haut, malgré leur faible rémunération.

On assurerait ainsi la transition vers un écosystème dans lequel la qualité de l’attention captée par tel ou tel artiste auprès du public devient le vrai critère de succès, et permettrait un classement des albums (ou des titres) bien plus représentatif que les ventes de CDs à un instant X, dont chacun sait d’ailleurs que certains restent parfois prisonniers de leur cellophane pendant de longues années (c’est le lot commun de la moitié des cadeaux de noël…), et terminent leur vie dans un carton au fond d’une cave sans avoir jamais généré la moindre attention …

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